Humeurs

Pourquoi La Chronique des Bridgerton en dit long sur l’image de la femme à notre époque

J’ai regardé la Chronique des Bridgertonencouragée davantage par l’engouement autour du scénario inclusif plutôt que par l’éventualité de visionner une fiction d’anthologie. Et parce que je suis faible, il a suffi d’un très gros plan sur la langue pourpre et humide du Duc Simon qui lèche une cuillère au ralenti pour que je me résolve finalement à déceler la profondeur caustique de l’intrigue. En vérité, je vous le dis, si je me suis infligée les niaiseries outrancières et insipides de cette énième déclinaison du genre « romance d’époque », c’est uniquement parce que mon œil affûté a su cerner l’unique potentiel de la série: il est métisse et musclé.  

  L’histoire qui se déroule dans les années 1800 dépeint le portrait d’une société où les femmes sont des objets de désirs paradant tels des paons dans leurs étoffes inconfortables, éduquées pour assouvir le plaisir visuel de ces messieurs. En fait, je trouve qu’à ce niveau rien n’a vraiment changé depuis. L’hégémonie politique, économique, sociétale des hommes et, par analogie, l’industrie de la culture qu’ils détiennent majoritairement a traversé les siècles et les générations en exacerbant ce rapport de domination du regard des hommes sur le corps des femmes. De sorte qu’en société, on attend des femmes qu’elles existent d’abord pour les charmes qu’elles ont à dévoiler. A ce propos, Mona Chollet dans son livre Beauté Fatale les nouveaux visages d’une aliénation féminine cite le philosophe Alain Badiou qui interprétait en ces termes dans une tribune, la loi française sur le port du voile à l’école : « une fille doit montrer ce qu’elle a à vendre. Elle doit exposer sa marchandise (…) On croyait avoir compris qu’un droit féminin intangible est de ne se déshabiller que devant celui ou celle qu’on a choisi(e) pour ce faire. Mais non. Il est impératif d’esquisser le déshabillage à tout instant. Qui garde à couvert ce qu’il met sur le marché n’est pas un marchand loyal.» 

 C’est aussi pour cette raison que pour dominer les chartes, le box-office ou aspirer à une grande visibilité sur les réseaux sociaux, les femmes appliquent les codes qu’elles ont absorbé et qui les conditionnent pour endosser la charge de la désirabilité (tenues affriolantes, corps excitants, nus, éthérés, lisses, plastifiés, postures aguicheuses, gestuelles suggestives, danses lascives, etc.) Les téléspectatrices et téléspectateurs sont donc constamment biberonné.e.s aux mêmes représentations et messages récurrents comme le restitue Rebecca Amsellem,  féministe et fondatrice de la newsletter Les Glorieuses: « Les hommes y jouent, les femmes y apparaissent. Les hommes gagnent, les femmes les célèbrent. Ils désirent, elles sont désirées. Les hommes sont des hommes, les femmes sont des êtres, prêtes à être disposées. »  Cette façon de chosifier le corps féminin par le prisme d’une perspective d’homme hétérosexuel s’appelle le « male gaze » (regard masculin) et a été théorisé par la critique de cinéma Laura Mulvey  en 1975.   Il est omniprésent dans la pop culture (cinéma, séries, magazines, jeux vidéo, dessins animés, œuvres d’art) et s’est imposé comme une norme devenue une réalité tangible à telle enseigne que celles qui s’en écartent sont conspuées.  Nous avons fini par intégrer que l’avis des hommes sur notre physique était déterminant dans notre processus d’estime de soi, alors que la seule garante de notre image et de ce qu’elle dégage, c’est nous-mêmes.  

Deux siècles séparent notre monde de celui de la série sans qu’une évolution significative sur la question se soit esquissée. C’est terrifiant comme le temps court en oubliant l’essentiel. 

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